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Interviews

Rencontre avec Inès Trontin : Prix du Public TheFork Awards 2022 :

27/12/2022
7 minutes

Le 21 novembre dernier se tenait la 3ème cérémonie des TheFork Awards qui révèlent une nouvelle génération de chef.fe.s parrainé.es par les plus grands chefs étoilés de France. Premier prix décerné par le public, c’est l’occasion pour tous les foodies de s’exprimer et de soutenir leur restaurant préféré ouvert depuis peu.

Cette année, le public a récompensé 6 jeunes chef.fe.s dont le restaurant Pêche d’Inès Trontin et Corto Brayer situé dans le 17ème arrondissement de Paris. TheFork a rencontré cette cheffe prometteuse, qui nous a raconté leur histoire et leur ressenti suite à l’obtention de ce Prix du Public. 

Que représente ce prix pour vous et vos équipes ?

C’est une belle récompense, surtout que ça vient de nos clients. Ce sont eux qui se sont mobilisés et ont voté pour nous ce qui nous touche d’autant plus. Ce prix nous a aussi permis d’accueillir encore plus de clients au restaurant en dehors des habitués du quartier. En deux ans, malgré le confinement et les difficultés qu’on a eues, on se dit qu’on ne s’est pas levés pour rien ! 

Quel est votre lien avec votre parrain Jérôme Schilling ? Avez-vous un mot pour lui ?  

Avant d’être mon parrain, Jérôme Schilling est avant tout mon mentor.
Ça fait dix ans qu’on se connaît, c’est le chef pour qui j’ai le plus de respect. Il a été l’un des seuls à croire en moi et à me pousser vers l’avant. Je l’ai accompagné trois fois au concours des Meilleurs Ouvriers de France qu’il a remporté la semaine précédent notre prix aux TheFork Awards. J’ai un peu l’impression qu’on a bouclé la boucle, c’est aussi pour ça qu’on était tous les deux très émus lors de la cérémonie de remise des TheFork Awards.

Inès Trontin pour Jérôme Schilling :

Je vous remercie d’avoir cru en moi, de m’avoir poussée vers l’avant et de m’avoir toujours bien conseillée.

Racontez-nous votre histoire et celle de votre restaurant Pêche, quel univers avez-vous souhaité créer ? 

J’ai toujours eu envie de faire de la cuisine mais je n’ai jamais osé le dire (rires).

Je viens d’un milieu agricole, mes grands-parents étaient paysans et pour ma mère et ma grand-mère, la cuisine est une corvée. Encore aujourd’hui, elles se demandent pourquoi j’ai choisi ce métier. De mes yeux d’enfant, cuisiner n’était pas un vrai métier. J’ai un parcours plutôt atypique puisqu’il commence à l’Opéra de Lyon. Je suis une grande amatrice d’opéras et c’était un moyen pour moi d’accéder à des représentations gratuitement. J’ai donc été embauchée à l’Opéra de Lyon en tant que technicienne lumière. Le midi, je préparais des tupperwares pour le déjeuner de mes collègues dont les revenus me permettaient de financer ma formation en apprentissage pour poursuivre dans cette voie. Les gens choisissaient leur menu une semaine à l’avance et moi je préparais leur déjeuner pendant la nuit. Un jour, je me suis dit qu’il était temps que je saute le pas. J’ai démissionné de l’Opéra de Lyon et j’ai fait des caterings en tant que professionnelle. 

À 19 ans, j’ai toqué à la porte de Jérôme Schilling qui était alors le chef exécutif de Guy Lassausaie à Lyon. Je n’avais aucune formation, je lui ai demandé de m’embaucher et de tout m’apprendre, ce qu’il a accepté. Je l’ai ensuite suivi au Château René Lallique en Alsace où il est devenu le chef exécutif de Jean-Georges Klein. Sept mois seulement après l’ouverture, on a obtenu deux étoiles d’un coup, ça a été une expérience exceptionnelle. Je suis ensuite montée à Paris où j’ai travaillé quelques mois au restaurant l’Epicure auprès du chef Éric Fréchon au Bristol. C’est à l’issue de cette expérience que je me suis décidée à ouvrir mon propre restaurant. J’ai rencontré mon associé Corto par des amis en commun, on parlait le même langage, on s’est tout de suite bien entendus. Tout a été très vite ensuite, Corto a commencé à chercher un lieu alors qu’il n’avait même pas goûté ma cuisine (rires) ! On a signé le restaurant le lendemain du premier confinement, un vrai parcours du combattant s’en est suivi, on a tout misé sur la vente à emporter, moi en cuisine et Corto aux livraisons pour sauver les meubles.
 

Pourquoi avoir choisi d’ouvrir votre restaurant à Paris ? 

J’ai la sensation que c’est l’endroit de tous les possibles. C’est ce que j’ai ressenti en arrivant à Paris, j’ai eu l’impression de repartir de zéro.

Comment définiriez-vous votre cuisine, avez-vous un plat signature ? 

Je n’ai pas de plat signature car je pense qu’il faut avoir roulé sa bosse pour avoir un plat signature. En revanche, j’ai une personnalité dans ma cuisine, elle est simple et lisible et ne cherche pas à être gastronomique. Elle est méditerranéenne, herbacée et fraîche. J’adore travailler les plantes et les herbes et à l’inverse, je travaille peu les épices. Si je n’avais pas été cuisinière, j’aurais été fleuriste. Je suis très sensible aux odeurs, je ne conçois pas de manger des choses qui ne sentent pas bon et à l’inverse, quand j’aime une odeur, j’ai envie de la manger. Je puise mon inspiration dans les livres de parfumeurs. La composition d’un parfum c’est comme la composition d’un plat, c’est de la chimie, ni plus, ni moins. D’ailleurs j’aimerais développer quelque chose autour du nez et du palais… affaire à suivre !

Un mot pour vos clients ? 

Un grand merci.
Les clients qui viennent nous voir aujourd’hui sont les mêmes qui nous soutenaient lorsqu’on faisait de la vente à emporter au moment de l’ouverture. On se sent super soutenus, c’est devenu un cercle précieux. Ils nous partagent beaucoup de bonne humeur et nous poussent à faire toujours mieux. 

Quelle est la place de l’écoresponsabilité au sein de votre restaurant ?

Elle occupe la première place en cuisine et a toujours fait partie de ma vie. Lorsque mes grands-parents tuaient une bête, ils ne jetaient rien. Ici c’est pareil, on ne jette rien, au pire, on le mange nous ! Je transforme mes épluchures en jus végétal, on ne propose pas de cabillaud, de thon albacore ou de crevettes. Évidemment on respecte les saisons mais ça semble logique. Si le cuisinier d’aujourd’hui n’a pas cette éthique c’est qu’il n’a pas compris grand-chose au métier. 

L’ingrédient le fou que vous ayez utilisé ?

En ce moment je fais manger du sapin aux gens. Lorsque j'étais chez la fleuriste il y a quelques semaines, j’ai vu tout ce sapin et j’ai senti ces odeurs de sève et de cédrat qui embaumaient les lieux. Ça m’a tout de suite rappelé les bonbons au sapin que mangeait mon grand-père quand j’étais petite. Quand j’aime une odeur, j’ai envie de la manger. Du coup, j’ai proposé à Corto qu’on fasse manger du sapin et du bois de hêtre à nos clients. Il m’a suggéré d’aller me reposer (rires).

On propose un dessert végétal composé d’une crème au sapin infusée pendant deux jours, de lait au bois infusé et réchauffé, d’un gel au sapin et au vinaigre vieilli en fûts de chêne de la Maison Pommier et d’un crumble aux pignons de pin (le fruit de la pomme de pin). C’est en ça que ma cuisine est lisible, je tire des lignes d’un produit à un autre. Je cuisine souvent du poulet avec du maïs, c’est le même principe, je ne vais pas chercher des choses compliquées, je vais au plus évident.  

 

Pour en savoir plus sur Inès Trontin : 

Dans le quartier des Batignolles à Paris, la cuisine de la cheffe Inès Trontin, lauréate du Prix du Public aux TheFork Awards 2022, repose sur trois piliers. La technique, dont elle a hérité de ses apprentissages dans des maisons étoilées; la générosité, de la cuisine de sa grand-mère et des produits de son grand-père agriculteur et enfin, sa passion pour la cuisine méditerranéenne. Résultat dans l’assiettte, une cuisine personnelle et décomplexée qui fait voyager hors des sentiers battus comme avec le tourteau au jasmin, les Saint-Jacques à la carbonara, le dessert à la cèpe en robe noire ou les gnocchis au potimarron et à la sauge. 

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