Amandine Carreau, cheffe éthique et anti-gaspi du restaurant Noisette à Paris
Inauguré en 2018 dans le 12ème arrondissement de Paris, son restaurant se dit “éthique et gourmand”. Rencontre avec une cheffe dans l’ère du temps, pour qui cuisine rime avec éco-responsabilité.
> Racontez-nous comment vous est venue l’idée de créer un restaurant “éthique et gourmand” ?
Nous avons monté Noisette avec mon associée (NDLR : Jane Demangeon) suite à une reconversion professionnelle. Nous nous sommes rencontrées dans le cadre d’un CAP pour adultes et avons eu l’idée d’ouvrir un restaurant en nous laissant un peu de temps au préalable pour nous faire la main et glaner de l’expérience dans différentes maisons. Chacune a pris le chemin qui se dessinait : pour moi ce fût la cuisine, pour elle, la gestion de la salle et du vin, afin d’être le plus complémentaires possible. Pendant quatre ans, chacune a pris sa route avec l'idée d'ouvrir notre maison par la suite. J’ai travaillé dans des établissements où le chef faisait tout de A à Z. J’aime bien le côté petite cuisine où l’on voit tout ce qui se passe, des fournisseurs jusqu’à l’assiette. C’est là que j’ai réalisé à quel point il était important de sourcer ses produits, même si je le faisais déjà pour moi-même. Celui qui m’a initié à cette façon de cuisiner et à ce goût des produits issus de circuits courts, c'est le chef François Pasteau. C’est un précurseur. Il privilégie les poissons de petite pêche, les producteurs locaux et va lui-même chercher ses légumes dans les fermes alentour. Lorsque je travaillais à ses côtés, nous avions des produits simples mais d’exception qui venaient de moins de 100km à la ronde. On remettait au goût du jour des légumes anciens, comme des pommes endémiques d’un producteur du Val-d’Oise par exemple. Il a su me transmettre son attachement au produit. C’est aussi ce que nous tâchons de faire chez Noisette, mais dans une moindre mesure puisqu’on n’a pas vraiment le temps d’aller nous balader chez les producteurs et récupérer nos provisions tous les matins...
Crédits : @Pauline de Courrèges
> Selon quels critères choisissez-vous les producteurs avec lesquels vous travaillez ?
Nous nous faisons livrer par Terroirs d’Avenir, ils ont un excellent sourcing. Nous élaborons notre carte chaque semaine en fonction des produits du moment qu’ils nous proposent. Nous travaillons aussi en direct avec certains producteurs, par exemple pour les épices. Mais disons que d’un point de vue logistique c’est très agréable de travailler avec Terroirs d’Avenir. Chaque jour, on peut récupérer une petite livraison, même s’il s’agit seulement de 3 kilos de carottes de 5 kilos de poireaux. Ils adaptent l’offre à la demande ce qui permet d’éviter le gaspillage alimentaire. Or, chez Noisette, nous mettons un point d’honneur à ne pas gaspiller les produits que nous cuisinons. Si j’optais pour un échange direct avec les producteurs ce serait beaucoup plus compliqué. Aussi bien par rapport à la taille de mon restaurant et au nombre de couverts que nous faisons chaque jour, qu’aux contraintes logistiques. Les quantités seraient probablement trop importantes pour moi et je n’aurais ni le temps, ni la demande suffisante pour passer tous ces jolis légumes. À la fin de la semaine je ne jette rien, c’est d’ailleurs notre objectif lorsque commence une nouvelle semaine et avec elle, une nouvelle carte. C’est qu’à la fin, il ne reste pas un gramme de nourriture à vendre.
> "Noisette, restaurant éthique et gourmand" : qu'entendez-vous par "éthique" ? Comment cet engagement se manifeste-t-il au quotidien ?
Le sourcing des produits est au cœur de notre démarche et surtout, le non gaspillage alimentaire auquel nous pensons chaque seconde. On s’attache à tout réutiliser et à ne jamais rien jeter. C’est d’ailleurs une philosophie que nous avions toutes les deux avant d’ouvrir Noisette. Le but, c’est de ne pas nourrir les poubelles.
Crédits : @Pauline de Courrèges
> Traçabilité des produits, anti-gaspi, choix de privilégier les circuits courts : l'éco-responsabilité est au cœur de votre travail. Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes à franchir pour aller au bout de cette démarche ?
Le point positif de la pandémie Covid-19 est que nous avons eu du temps de réflexion, chose que l’on n’a pas en temps normal. C’est encore les prémisses mais nous sommes en train de chercher un terrain pour travailler avec notre propre maraîcher qui fournira les fruits et légumes de chez Noisette. Ce serait pour nous “l’aboutissement ultime”. Nous sommes localisées en plein cœur de Paris, difficile donc d’avoir le potager derrière le restaurant. Mais on peut essayer de l’avoir dans un rayon assez proche.
> "Noisette" a été labellisé Food Index for Good (FIG) en Mai 2020. Que signifie cette distinction pour vous ? Plus globalement, qu'apporte, selon vous, la labellisation FIG aux restaurants ?"
FIG permet d’augmenter notre visibilité auprès des gens. Les clients qui nous suivent depuis le départ ont très bien compris comment nous fonctionnions. La labellisation FIG permet de brasser un public plus large. D’ailleurs, il est plaisant de voir que de plus en plus de restaurateurs commencent à se pencher sur la question alors qu’ils n’étaient pas du tout engagés jusqu’à présent. Finalement, ce n’est pas si compliqué de privilégier les circuits courts, de revaloriser ses déchets et de revoir ses cartes en fonction des saisons. Il y a de plus en plus de restaurateurs qui mettent un pied dans l’engrenage. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est “courant” mais ça fait plaisir de voir des gens qui étaient loin de ça, s’en rapprocher. On peut faire notre métier de la même façon en étant plus vertueux et respectueux de l’environnement.
Crédits : @Pauline de Courrèges
> Dans une interview accordée au Figaro en mars dernier, vous dîtes rêver devenir "cheffe-paysanne". La crise sanitaire a-t-elle accéléré vos démarches en ce sens ?
Dans un avenir plus ou moins proche on aimerait s’installer non pas à côté mais sur le potager. Cela implique de quitter Paris où malheureusement il n’y a pas encore vraiment de terres agricoles... À court terme, nous aimerions surveiller toute la production de fruits et légumes afin de savoir exactement ce que l’on produit et ce que l’on cuisine.
NB : La label FIG a été créé en 2019 par Eva Genel et Elise Baron, il s’agit d’une association indépendante qui imagine des solutions à long terme pour permettre à chaque restaurant de devenir éco-responsable. ?