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Les fleurs et les plantes sauvages comestibles, reines de nos assiettes ?

09/02/2022
10 minutes

Si elles ornent nos assiettes depuis quelques années, les plantes et fleurs sauvages comestibles sont aussi et surtout bénéfiques pour notre santé. 

Pour comprendre l’engouement pour les fleurs et les plantes sauvages, TheFork a rencontré l’ethnobotaniste François Couplan. En complément du premier épisode de notre podcast Chemin de Tables sur ce sujet, découvrez notre entretien avec celui qui, en Europe, a rendu ses lettres de noblesse à ces trésors de la nature aux multiples vertus. 

 

Qu’est-ce qu’une plante ou une fleur sauvage comestible ?

Cette question paraît simple mais, en pratique, elle est complexe. Ce qu’il faut commencer par définir, c’est la notion de toxicité. Il en existe deux types. D’une part, la toxicité aiguë; lorsque vous mangez quelque chose et que vous en mourez (les fleurs des digitales par exemple). Et puis d’autre part, la toxicité chronique; lorsque vous mangez un aliment de façon raisonnable et que cela ne pose pas de problème, mais que si d’aventure vous en mangez régulièrement sur le long terme, alors, ça peut devenir problématique. 

Il existe donc des plantes que l’on considère comme “comestibles” et qui, en réalité, ne le sont que dans des quantités données. Sans compter qu’il y a des produits ajoutés (pesticides, adjuvants…) qui ne sont pas inhérents aux plantes et aux fleurs et qui participent aussi à cette toxicité. 

En résumé, donner une définition de ce qu’est une plante sauvage comestible est compliqué, même si on peut dire qu’une plante sauvage, par définition, c’est une plante qui pousse seule, qu’on ne cultive pas. Une plante comestible est une plante qui, a priori, ne posera pas de problèmes ni sur le court, ni sur le long terme si on la consomme en quantités raisonnables. 
 

Où et quand trouve-t-on ?

On les trouve dans le monde entier, sur tous les continents, absolument partout, y compris en ville, du printemps à l’automne et en hiver s’il ne fait pas -10°, et encore… Il existe 300 000 espèces de plantes et j’estime à 80 000 les espèces de plantes sauvages comestibles. C’est nettement plus que les légumes qu’on cultive ! 

En Europe, j’ai compté 1600 variétés de fleurs et de plantes comestibles, ce qui fait de nous les moins bien lotis dans le monde. 
 

Comment avez-vous découvert les fleurs et plantes sauvages comestibles ?
Quelle a été votre première rencontre avec elles ?

C’était en ramassant des plantes avec ma maman alors que je commençais tout juste à marcher ! Lorsqu’on s’est installés en Beauce, on ramassait des pissenlits, quelques plantes sauvages… et puis on passait toutes nos vacances en Savoie dans le Beaufortain où on ramassait des fraises des bois, des framboises, des myrtilles, des champignons… des tas de choses sympathiques.

Vous collaborez avec de grands chefs comme Marc Veyrat à la mise en valeur des végétaux comestibles méconnus et à la réhabilitation des saveurs oubliées ce qui a donné naissance à L’Herbier Gourmand qui explique comment reconnaître 50 plantes et les utiliser dans 100 recettes.

Pourriez-vous nous raconter cette rencontre et la genèse de cette collaboration ?

J’ai vécu pendant dix ans en Amérique où j’ai développé mes connaissances à propos des plantes sauvages et où j’ai commencé à donner des cours. En rentrant en France, j’ai continué à donner des cours et j’ai écrit des livres. La femme de Marc Veyrat lui a offert l’un de mes livres, ce qui l’a conduit à adhérer à mon association. C’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble. Notre collaboration a duré plusieurs années, une belle époque. 

Pourquoi les plantes et fleurs sauvages reviennent-elles à la mode depuis quelques années, que cela soit pour soigner ou pour cuisiner ? 

Les plantes médicinales c’est une autre histoire. Concernant les plantes sauvages comestibles, c’est grâce au travail qu’on a fait avec le chef Marc Veyrat dans les années 1990. La médiatisation qu’il y a eu autour de notre travail a fait exploser l’affaire ! René Redzepi, le chef du restaurant Noma à Copenhague s’y est intéressé et a, lui-même, inspiré d’autres chefs. 

Depuis le Moyen-Âge, les plantes sauvages ont été déclassées en Europe. Les nobles mangeaient des légumes cultivés et de la viande bien sûr, mais jamais de plantes sauvages. Manger des plantes qui poussaient seules, c’était le signe que l’on n’avait pas d’autre moyen de se nourrir que de compter sur ce qu’offre gratuitement la nature et donc, qu’on était doté d’un statut social inférieur. Au fil du temps, la plante sauvage est passée d’un aliment de disette méprisable à un ingrédient valorisé par les chefs cuisiniers.

Pensez-vous qu’elles sont désormais “banalisées” dans nos assiettes ?

Il faut distinguer les restaurateurs, les bobos et les gens branchés. Les restaurateurs et les bobos ont en commun de trouver que les plantes sauvages sont à la mode. Les gens branchés, eux, cherchent à renouer avec la nature et à retrouver une alimentation plus saine. Et puis il y a les restaurateurs branchés, comme le chef Marc Veyrat, qui ont une vraie relation avec les plantes et qui y trouvent de réels intérêts gustatifs. Ils agissent comme des peintres à qui l’on ajoute de nouvelles couleurs sur leur palette.  Excepté Marc Veyrat, je serai incapable d’en citer d’autres. C’est une denrée rare ! Les restaurateurs utilisent les plantes sauvages car c’est à la mode, parce que René Redzepi l’a lancé à grande échelle dans les années 2000 et parce que les fleurs, c’est joli dans l’assiette… Il y a des restaurateurs qui n’hésitent pas à aller à Rungis pour acheter des fleurs pour décorer leurs assiettes et disent qu’ils travaillent les plantes sauvages. Pour moi, ce qui est important c’est la relation avec les plantes. Faire de la soupe d’ortie pour faire de la soupe d’ortie, ça ne m’intéresse pas. Faire de la soupe d’ortie parce qu’on trouve que c’est bon, car on a des orties dans son jardin, ça m'intéresse davantage. Chacun fait comme il veut mais moi, ça me semble beaucoup plus intéressant d’aller explorer les plantes et les fleurs sauvages.  C’est un vrai travail de recherche. 

Les restaurateurs et les bobos n’ont ni le temps, ni les connaissances même si de plus en plus de gens s’y intéressent et cherchent à acquérir des savoirs au sujet des plantes et des fleurs sauvages. Ce sont avec eux que je travaille. Je rencontre des gens super sympas grâce à mes stages et à mes formations. En ces temps difficiles où la société prend une direction désagréable, j’ai la chance de rencontrer des gens biens qui ont envie de développer un rapport avec les plantes. Ils se rendent compte qu’il ne s’agit pas seulement de cueillir des plantes sur le pas de leur porte, en montagne ou à la mer, mais plutôt de découvrir véritablement, une autre façon de vivre le monde. 

 

Existe-t-il des régimes alimentaires dans le monde où la place des plantes et des fleurs sauvages est encore importante ?

Oui ! Le régime crétois est connu pour faire du bien et repose sur une consommation massive de plantes sauvages entre le mois d’octobre et le mois de juin. C’est un exemple qui a démontré ses capacités nutritionnelles intéressantes, même s’il commence à être délaissé car la jeune génération s’intéresse davantage aux fast food… Il y a d’autres endroits dans le monde où les fleurs et les plantes sauvages ont une grande place dans le régime alimentaire ! Le Japon, par exemple, n’a pas connu la dévalorisation des plantes sauvages telle qu’on l’a connue en Occident et qui est propre à notre région du monde. C’est un phénomène particulier qu’on ne retrouve pas ailleurs. Dans tous les pays du monde, la consommation de plantes sauvages est quelque chose de normal, de naturel et d’apprécié. Or, dès que les pays se développent et qu’ils subissent l’influence de l’Occident, la première chose qu’ils font, c’est de rejeter les plantes sauvages et plus généralement leur alimentation traditionnelle. Le leitmotiv, c’est le statut social. Quand on s’intéresse à l’être humain et plus particulièrement à son alimentation, on peut savoir comment vivent les gens.
 

Vous proposez des stages pratiques à la découverte des fleurs et plantes comestibles.

Pourriez-vous nous décrire comment un stage se déroule concrètement ? J’ai lu que vous composiez “d’intrigants repas sauvages”...

Lors de mes stages, une vraie rencontre a lieu avec les plantes sauvages. On récolte le matin, on pique nique et puis l’après midi, on se met en cuisine pour cuisiner notre récolte. Parfois on obtient des repas délicieux et parfois, des choses un peu plus bizarres… 
 

Pourquoi les chefs ont-ils un intérêt à réintégrer les plantes et fleurs sauvages comestibles ? En quoi permettent-elles de développer une créativité culinaire ?

Bien évidemment, avec toutes les plantes comestibles qui existent, il y a de quoi transformer sa cuisine ! Mais il faut savoir que ça prend du temps et que ça demande des connaissances et de l’authenticité. C’est beaucoup de contraintes qui peuvent intéresser des chefs créatifs qui ont envie de transformer et d’avancer dans leur cuisine. J’ai évoqué plus tôt la palette d’un peintre à qui on apporterait de nouvelles couleurs, et bien c’est la même chose. 

Il y a des peintres qui sont heureux de travailler avec la palette de couleurs qu’ils connaissent car c’est déjà bien suffisant pour eux. De la même façon, il y a des chefs qui sont contents de travailler avec les ingrédients qu’ils connaissent car c’est déjà bien suffisant pour eux…  

La soupe de chalet est une recette traditionnelle de la cuisine gruyérienne à base de gruyère, de lait et de pâtes. Certains la font aussi avec du poireau. A la fin des années 90, j’ai rencontré un restaurateur qui m’a fait une soupe de chalet avec du poireau. Je lui ai suggéré de remplacer le poireau par une plante sauvage, le Chénopode bon-Henri. Cette recette lui a permis de gravir les échelons et de gagner en notoriété en Suisse. 

Les fleurs et les plantes sauvages comestibles sont une goutte d’eau dans l’océan de la restauration. Souvent, les chefs n’ont pas vraiment le temps, ni l’envie profonde de s’y intéresser. Il y a une double contrainte dans la mesure où ils aimeraient s’y intéresser davantage mais ils ont peur de choquer leur clientèle. Et puis, la restauration, ce n'est pas seulement les chefs cuisiniers, c’est aussi la salle. Ça peut poser problème puisqu’il faut que les cuisiniers aient envie de partager leurs connaissances et leur passion à la salle et que le personnel de salle puisse, à son tour, le retranscrire aux clients. C’est une sacrée équation et je me suis cassé les dents à maintes reprises sur ce sujet.
 

Quelles sont vos recettes préférées à base de plantes et fleurs sauvages ?

Un oignon, des plantes sauvages, quelques rondelles de carottes, un morceau de fromage, le tout revenu à l’huile d’olive avec des œufs ou des filets d’anchois à votre convenance… 

Quelle plante ou fleur sauvage connue, simple à trouver, peut-on cuisiner facilement facilement sans qu'il n'y ait de risque de toxicité ?

L’ortie, l’églantine, l’égopode, la berce spondyle… avec ces plantes déjà vous êtes tranquilles et on les trouve partout. 
 

Pensez-vous qu’en temps de Covid, il soit plus que jamais nécessaire que chacun d’entre nous prenne conscience de la valeur des plantes et des fleurs sauvages ?

Je n’ai jamais eu autant de personnes intéressées par mes stages, mes formations et mes livres que depuis le mois de mars 2020. Pas de voitures, moins de pollution, du temps pour lire, se retrouver et rencontrer les plantes… je ne suis pas en faveur du confinement mais je dois dire que, quelque part, ça a fait du bien à tout le monde. 

Ce sont des trésors fragiles et il ne faudrait pas que cet engouement nuise à leur survie. Comment continuer à les utiliser, tout en les préservant ?

Les plantes que je vous ai cité plus tôt appartiennent à la famille des mauvaises herbes alors si on les ramasse pour les manger, ça ne fera pas une grande différence. En revanche, il faut faire attention aux plantes rares que l’on trouve généralement en montagne ou en bord de mer. Quand on commence à avoir de la bouteille, notre perception de la nature est différente. La meilleure façon d’apprendre à respecter les plantes et la nature, c’est de les connaître. Il n’y a pas de secret. 

 

François Couplan est l’auteur de L’Herbier à croquer qui paraîtra en mars prochain aux éditions Exuvie. Un ouvrage à consommer sans modération. 

Si vous souhaitez en savoir plus sur les fleurs et les plantes sauvages comestibles, découvrez notre podcast Chemin de Tables.

Il vous emmène en Haute-Savoie à la rencontre de Jennifer Bonnefoy, cueilleuse professionnelle et de Hubert Chanove, le chef du restaurant le Refuge des Gourmets. Tous deux nous ont raconté leur passion pour ces trésors de la nature… 

 

 

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