Comment concilier vie de famille et vie professionnelle ? Rencontre avec la cheffe étoilée Coline Faulquier du restaurant Signature à Marseille
Horaires décalés, imprévus, coups de feu, fatigue, stress...les métiers de la restauration peuvent être prenants. Si, depuis la crise de la Covid-19, certains ont fait le choix de se reconvertir, d’autres essayent de concilier au mieux vie privée et vie professionnelle. Alors, comment combiner une vie de famille avec un métier-vocation ? TheFork a rencontré Coline Faulquier, cheffe de cuisine, d’entreprise, étoilée et surtout maman, qui nous a prouvé que rien n’est impossible, à condition de faire les bons choix.
En janvier dernier, vous avez obtenu votre première étoile et avez été nommée “Young Chef Award” par le prestigieux guide MICHELIN. Racontez-nous votre parcours, comment en êtes-vous arrivée là ?
J’ai commencé la cuisine à 15 ans en école hôtelière, puis j’ai fait un bac technologique en cuisine et un BTS en alternance. Après cette première formation, j’ai eu envie de me perfectionner et d’intégrer une formation élitiste donc je suis entrée à l’école supérieure de cuisine française Ferrandi à Paris. J’en ai été diplômée en 2011 après mes différents apprentissages chez Lasserre auprès de Jean-Louis Nomicos, chez Olivier Nasti puis, auprès d’Eric Frechon au Bristol. N’étant pas originaire de Paris, j’avais envie d’avoir une expérience dans un établissement de la capitale car je savais que je ne ferais pas ma carrière. Alors quand le Bristol m’a proposé de rester, j’ai accepté. Pour des raisons familiales, je suis redescendue dans le sud à l’Hôtel du Castellet chez Christophe Bacquié où j’ai passé une saison. En 2012, je suis tombée enceinte et j’ai un peu levé le pied car j’avais peur de faire trop d’heures et de passer une mauvaise grossesse… puis ça tombait bien car j’arrivais à la fin de mon CDD. J’ai toujours été très ambitieuse, j’ai intégré l’école Ferrandi alors que j’avais déjà cinq ans de formation derrière moi, j’avais envie d’exceller, j’avais envie de faire partie de l’élite. Je pense que la culture générale, c’est formateur et très important et qu’on en a besoin aujourd’hui dans nos cuisines.
Vous avez ouvert votre restaurant Signature en 2019 à Marseille, quelle cuisine y proposez-vous ?
C’est toujours compliqué de s’auto-juger en tant que cheffe. J’ai une cuisine de produits, je ne travaille pas ce qu’on appellerait communément des “produits nobles” comme le caviar ou le foie gras par exemple. Pour moi, tous les produits sont magiques à condition d’être choisis chez de bons producteurs. Alors, j’essaye de les sublimer comme le maquereau par exemple. Je préfère cuisiner des produits que des producteurs s’acharnent à cultiver dans les règles de l’art. Ma cuisine est assez végétale, il y a beaucoup de jus et de coulis d’herbes, de plantes sauvages et de légumes. Elle est influencée par la Méditerranée, on va retrouver beaucoup de poissons. J’aime tout ce qui vient de la mer. Je dirai que c’est une cuisine de terroir.
Quelles sont vos inspirations ?
Ce sont d’abord les produits, puis les maisons et les chefs chez qui j’ai travaillé car j’ai seulement 32 ans donc mes expériences passées ont encore de l’influence sur mon travail, que cela soit sur la façon de travailler ou de faire plus généralement. Ma cuisine est assez fidèle à ce qui se faisait avant : j’aime les viandes rôties, les bons jus, je ne suis pas vraiment portée sur les macérations, les fermentations… J’aime la cuisine “à l’ancienne”. Mon inspiration vient d’abord du produit car je suis gourmande et j’aime vraiment bien manger. J’ai eu la chance d’être élevée dans un corps de ferme en Bourgogne où mes parents avaient un potager, des poules, des moutons. Aujourd’hui je me rends compte que je tends de plus en plus à m’inspirer des produits. Par exemple, pour ma carte actuelle, j’ai demandé à mon producteur ce qu’il pouvait me proposer comme légumes qui sortent un peu de l’ordinaire, du coup, je cuisine la celtuce qui est entre l’asperge et la laitue et la plupart des clients ignorent que ça existe ! De la même façon, le salsifis, c’est quelque chose qu’on a tous mangé en boîte à la cantine alors qu’en réalité c’est un super produit ! Je travaille aussi un peu plus avec des produits de Bourgogne maintenant. Par exemple, on fait une “île fointante” c’est dans l’esprit d’une île flottante sauf qu’on la cuisine avec du foin. C’est une odeur qui me ramène en enfance lorsque je jouais dans les champs avec ma sœur sur les bottes de paille. J’essaye de faire des choses qui me tiennent à cœur avec des goûts et des odeurs qui me rappellent des lieux qui m’ont marquée.
En restauration, les horaires peuvent être contraignants, comment vivez-vous le fait d’être parfois, à contre-courant de votre entourage ?
Quand j’ai ouvert Signature, j’ai fait le choix de fermer le week-end et c’est quelque chose que je ne regrette absolument pas. Je suis fermée le samedi et le dimanche car j’ai un petit garçon que je ne veux pas laisser de côté. Oui, je suis cheffe d’entreprise, oui, je suis cheffe de cuisine mais je suis avant tout une femme et une maman.
Qu’est-ce que l’arrivée de votre fils en 2013 a changé dans votre vie ?
J’ai dû mettre ma carrière entre parenthèses alors que j’étais en pleine ascension. Je travaillais à l’Hôtel du Castellet et j’ai eu l’impression de ne plus faire partie du cercle des restaurants étoilés. Je voyais ce monde de loin et, même si j’étais heureuse d’être maman, je me sentais un peu perdue. Pour moi, la cuisine, c’est plus qu’une passion, c’est une vocation, ça fait partie de ce que je suis. Quand on commence à 15 ans et qu’on est une vraie passionnée, on se construit dans ce monde-là. J’avais l’impression de ne pas être moi-même et c’est un peu la raison pour laquelle je me suis inscrite à Top Chef. Quand ils se sont présentés à moi, je me suis dit que je n’avais rien à perdre, que c’était un beau challenge et que j’allais retrouver des gens qui partagent la même passion. Ça a été un révélateur, je me suis dit que j’étais encore dedans, que je n’avais rien perdu et que j’étais vraiment faite pour ce métier. Je me suis demandée pourquoi j’avais passé tant de temps à me dire qu’il fallait choisir entre carrière et vie privée. J’ai décidé de ne pas choisir et de reprendre la voie de l’excellence en cuisine tout en étant maman ! Mon fils me voit moins mais me voit heureuse, et quand on a eu l’étoile, ça a été le premier à hurler de joie. Je ne me suis jamais bloquée parce que j’avais un enfant, je l’ai même parfois emmené en prestations car je n’avais personne pour le garder. Aujourd’hui, il m’arrive de refuser des prestations le lundi soir car c’est le seul soir que j’ai avec lui en semaine mais ce n’est pas tout le temps, la preuve avec les TheFork Awards que j’avais à coeur de faire ! Je me rends compte qu’il est fier et que c’est aussi un exemple pour lui.
Comment s’organisaient vos semaines lorsque vous participiez au concours Top Chef en 2016 ?
Je n’ai pas vu mon fils pendant les sept semaines de tournage. Il me manquait, mais je savais que j’étais à Top Chef pour un avenir meilleur et que ça allait me rebooster, alors je n’ai pas vécu trop mal l’éloignement.
Pourriez-vous nous raconter votre journée type ?
Je me réveille à 6h45, je réveille mon fils puis on prend notre petit déjeuner tous ensemble avec mon conjoint. Mon fils et moi partons tous les deux en voiture, on fait un premier arrêt pour ouvrir le restaurant (machines à café, lumières, rideau…) puis je le dépose à l’école qui est située dans la même rue. Avant, on vivait au-dessus du restaurant donc c’était vraiment très pratique : l'école, le restaurant et la maison étaient au même endroit. À 8h30, l’équipe des cuisines arrive, on prend le temps d’un café tous ensemble. Mon responsable de salle arrive à 9h00 puis à 11h30 on déjeune (quand on a le temps), avant le service. À la fin du service, je fais en sorte que mes salariés ne restent pas à attendre les dernières tables, j’essaye de les encaisser moi-même pour qu’ils puissent partir et profiter de leur coupure. Généralement, ils quittent le restaurant autour de 14h30-15h00. Moi, je reste dans la cuisine jusqu’à 16h30, puis je vais chercher mon fils à l’école. On rentre ensemble au restaurant, il goûte et fait ses devoirs ici pendant que je suis en cuisine. Il est chez lui, il connaît toute l’équipe, hier il était même en train de dresser les tables ! Vers 17h - 17h30, l’équipe revient. Dans un monde idéal, j’aimerais pouvoir aller le chercher à l’école, rentrer à la maison avec lui et revenir pour la mise en place du service vers 18h30. Mon conjoint vient ensuite le récupérer au restaurant vers 18h00. Mon service commence à 20h le soir et se termine à 21h30 - minuit. Je fais la fermeture avec mon responsable de salle puis je rentre chez moi. Ce n’est pas toujours facile, mais aujourd’hui j’ai mon étoile, et je sais pourquoi.
Quels sont, selon-vous, les avantages et les inconvénients de la coupure, côté cheffe et côté employés ?
Même si j’aimerais beaucoup, je n’ai pas la structure nécessaire pour avoir une équipe du matin et une équipe du soir. J’ai 20 places assises et le ticket moyen n’est pas très élevé donc je ne peux pas embaucher plus. Les PME comme moi, on est toujours au cœur du problème car on est trop gros pour être ouvert seulement le midi et à la fois on est trop petits pour avoir deux équipes, on n’a pas les moyens.
Comment vous répartissez-vous les tâches quotidiennes que ce soit au travail comme à la maison ?
Mon conjoint vient chercher mon fils tous les soirs au restaurant, je leur prépare de quoi dîner à emporter avec eux. Quand il fait partir une machine de linge, je l’étends, quand il remplit le lave-vaisselle, je le vide, et vice-versa. On essaye d’être le plus équitable possible. Le week-end, on fait tout ce qu’on n’a pas pu faire la semaine. Il me soulage beaucoup en s’occupant de mon fils le soir lorsque je travaille. Je pense que c’est compliqué pour un homme d’accepter que sa femme ne soit jamais là. On fait au mieux pour passer du temps ensemble mais ce n’est pas un schéma évident. J’estime que j’ai la chance de pouvoir fermer les week-ends et pendant les vacances. C’est très compliqué d’être une femme maman et cheffe, de travailler le soir et d’être sur des horaires compliqués mais je ne dis pas non plus que c’est impossible ! Il faut tomber sur une personne capable de l’accepter…
La crise de la Covid-19 a permis à beaucoup d’employés du secteur de la restauration de retrouver une vie de famille plus typique. Qu’avez vous constaté depuis la reprise de l’activité ? Certains d’entre eux se sont-ils reconvertis ou ont-ils émis le souhait que leurs horaires soient ajustés ?
Tout le monde est resté sauf une personne, mais c’était prévu. Actuellement je cherche quelqu’un car ma cheffe de rang ne veut plus travailler le soir. Depuis le Covid, elle a redécouvert ce que c’était que d’avoir ses soirées et elle préfère travailler en extras de temps en temps. C’est de plus en plus dur de trouver des gens prêts à travailler comme avant. Le Covid a fait mal.
Les fêtes de fin d’année approchent, qu’avez-vous prévu ?
Je ferme toujours le restaurant à noël car j’ai fait le choix d’avoir un enfant et j’estime que quand on est maman, c’est important de passer noël en famille. Ce sont des moments familiaux et conviviaux qui nous permettent de voir évoluer nos proches. Donc on ferme à noël et on rouvre le restaurant pour le 31 !
Informations pratiques
Coline Faulquier
180 Rue du Rouet, 13008 Marseille
Ouvert les lundis midi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi.
Fermeture samedi, dimanche, lundi soir.